Au peuple
Au peuple
Il te ressemble ; il est terrible et pacifique. Il est sous l'infini le niveau magnifique ; Il a le mouvement, il a l'immensité. Apaisé d'un rayon et d'un souffle agité, Tantôt c'est l'harmonie et tantôt le cri rauque. Les monstres sont à l'aise en sa profondeur glauque ; La trombe y germe ; il a des gouffres inconnus D'où ceux qui l'ont bravé ne sont pas revenus ; Sur son énormité le colosse chavire ; Comme toi le despote il brise le navire ; Le fanal est sur lui comme l'esprit sur toi ; Il foudroie, il caresse, et Dieu seul sait pourquoi ; Sa vague, où l'on entend comme des chocs d'armures, Emplit la sombre nuit de monstrueux murmures, Et l'on sent que ce flot, comme toi, gouffre humain, Ayant rugi ce soir, dévorera demain. Son onde est une lame aussi bien que le glaive ; Il chante un hymne immense à Vénus qui se lève Sa rondeur formidable, azur universel, Accepte en son miroir tous les astres du ciel ; Il a la force rude et la grâce superbe ; Il déracine un roc, il épargne un brin d'herbe ; Il jette comme toi l'écume aux fiers sommets, Ô peuple ; seulement, lui, ne trompe jamais Quand, l'oeil fixe, et debout sur sa grève sacrée, Et pensif, on attend l'heure de sa marée. ............ Monnsieur.VICTOR HUGO.............
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lA LUNE BLANCHE. La lune blanche Luit dans les bois De chaque branche Part une voix Sous la ramée... 0 bien-aimée. L'étang reflète, Profond miroir, La silhouette Du saule noir Où le vent pleure... Rêvons, c'est l'heure. Un vaste et tendre Apaisement Semble descendre Du firmament Que l'astre irise... C'est l'heure exquise. Paul Verlaine
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La mort et le malheureux Un malheureux appelait tous les jours La mort à son secours "O Mort, lui disait-il, que tu me sembles belle! Viens vite, viens finir ma fortune cruelle!' La mort crut, en venant, l'obliger en effet. Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre. "Que vois-je? cria-t-il: ôtez-moi cet objet; Qu'il est hideux! que sa rencontre Me cause d'horreur et d'effroi N'approche pas, ô Mort! ô Mort, retire-toi!" Mécénas fut un galant homme; Il a dit quelque part: "Qu'on me rende impotent. Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme Je vive, c'est assez, je suis plus que content." Ne viens jamais, ô Mort; on t'en dit tout autant. Jean de La Fontaine
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Pendant que la fenêtre était ouverte
Pendant que la fenêtre était ouverte Poète, ta fenêtre était ouverte au vent, Quand celle à qui tout bas ton coeur parle souvent Sur ton fauteuil posait sa tête: -"Oh! disait-elle, ami, ne vous y fiez pas! Parce que maintenant, attachée à vos pas, Ma vie à votre ombre s'arrête; Parce que mon regard est fixé sur vos yeux; Parce que je n'ai plus de sourire joyeux Que pour votre grave sourire; Parce que, de l'amour me faisant un linceul, Je vous offre mon coeur comme un livre où vous seul Avez encor le droit d'écrire; Il n'est pas dit qu'enfin je n'aurai pas un jour La curiosité de troubler votre amour Et d'alarmer votre oeil sévère, Et l'inquiet caprice et le désir moqueur De renverser soudain la paix de votre coeur Comme un enfant renverse un verre! Hommes, vous voulez tous qu'une femme ait longtemps Des fiertés, des hauteurs, puis vous êtes contents, Dans votre orgueil que rien ne brise, Quand, aux feux de l'amour qui rayonne sur nous, Pareille à ces fruits verts que le soleil fait doux, La hautaine devient soumise! Aimez-moi d'être ainsi! - Ces hommes, ô mon roi, Que vous voyez passer si froids autour de moi, Empressés près des autres femmes, Je n'y veux pas songer, car le repos vous plaît; Mais mon oeil endormi ferait, s'il le voulait, De tous ces fronts jaillir des flammes!" Elle parlait, charmante et fière et tendre encor, Laissant sur le dossier de velours à clous d'or Déborder sa manche traînante; Et toi tu croyais voir à ce beau front si doux Sourire ton vieux livre ouvert sur tes genoux, Ton Iliade rayonnante! Beau livre que souvent vous lisez tous les deux! Elle aime comme toi ces combats hasardeux Où la guerre agite ses ailes. Femme, elle ne hait pas, en t'y voyant rêver, Le poète qui chante Hélène, et fait lever Les plus vieux devant les plus belles. Elle vient là, du haut de ses jeunes amours, Regarder quelquefois dans le flot des vieux jours Quelle ombre y fait cette chimère; Car, ainsi que d'un mont tombe de vivent eaux, Le passé murmurant sort et coule à ruisseaux De ton flanc, ô géant Homère! 26 février 1837
Monsieur.VICTOR HUGO
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L’homme et son image
Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux Passait dans son esprit pour le plus beau du monde: Il accusait toujours les miroirs d'être faux, Vivant plus que content dans une erreur profonde. Afin de le guérir, le sort officieux Présentait partout à ses yeux Les conseillers muets dont se servent nos dames: Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands, Miroirs aux poches des galands, Miroirs aux ceintures des femmes. Que fait notre Narcisse? Il se va confiner Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer, N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure. Mais un canal, formé par une source pure, Se trouve en ces lieux écartés: Il s'y voit, il se fâche, et ses yeux irrités Pensent apercevoir une chimère vaine. Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau; Mais quoi? Le canal est si beau Qu'il ne le quitte qu'avec peine. On voit bien où je veux venir. Je parle à tous; et cette erreur extrême Est un mal que chacun se plaît d'entretenir. Notre âme, c'est cet homme amoureux de lui-même; Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui, Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes; Et quant au canal, c'est celui Que chacun sait, le livre des Maximes.
Jean de La Fontaine